C´est quoi, l'éducation populaire ?
Textes de présentation
L'EDUCATION POPULAIRE, QU'EST-CE DONC?
Curieux mot qu'emploient sans même le savoir des millions de personnes et qui parait si abstrait pourtant !
L'éducation populaire ?
C'est l'éducation qui n'est pas cadrée dans les structures traditionnelles de la famille, de l'école ou de l'université.
C'est l'éducation au sein du " temps de loisir ", oui, mais par la pratique volontaire de la vie de groupe, la confrontation, le partage.
C'est aussi l'éducation de chacun par chacun: l'éducation qui ne vient pas d'en haut, des classes dominantes, mais qui cherche à refondre la culture populaire en accordant une égale dignité à toutes les classes de la société.
Celle aussi qui ne se limite pas à la " haute culture ", ni même aux oeuvres d'art, mais qui cherche la culture au sens large: sciences, techniques, sports, connaissance des arts, expression artistique.
C'est l'apprentissage de la citoyenneté, enfin: la citoyenneté qui n'est pas seulement la politisation (l'art de réfléchir sur la politique institutionnelle) mais une pratique active: art de parler en public, de savoir écouter, de gérer un groupe, de s'intégrer à la société...
Jacques Bertin - Pour le magazine Politis
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L'OBLIGATION DE SUBVERSION
Par quelque biais qu'on prenne la question, la conclusion s'impose: l'éducation populaire ne peut échapper à sa vocation profonde: la subversion.
Le mot peut faire peur.
La loi Sapin annonce l'arrivée du privé dans le loisir et dans la culture: si un maire est obligé (ou a le droit) de soumettre l'attribution d'un équipement d'éducation populaire (une maison de quartier, par exemple) à un appel d'offre, ou un marché concernant les loisirs, ou les vacances, ou le théâtre... comme pour n'importe quel marché public, on ne voit pas ce qui pourrait empêcher le privé de se mettre sur les rangs et de dire: je fais mieux et moins cher !
La seule réponse à ce défi, est dans ce qui fait depuis toujours la légitimité de l'éducation populaire et de l'associatif: sa faculté à subvertir.
Cela, le secteur marchand ne le fera jamais.
De même, si l'encouragement aux pratiques amateurs se borne d'une manière généralisée à aider ces pratiques, sans qu'elles soient éclairées par des ambitions plus hautes, on reviendra au Passetemps des dames et des demoiselles.
La pratique artistique n'est pas en soi le gage du progrès dans la citoyenneté, elle peut même être exactement l'inverse. On connait assez d'" artistes " totalement fermés à toute humanité et considérant la collectivité comme simple fournisseur de subventions à leurs états d'âme.
Le ministère des Beaux-Arts : même chose pour le haut niveau culturel: à mesure que la politique culturelle est devenue, sous les années Lang, le service des intérêts des " Créateurs ", on revenait à une sorte de ministère des Beaux-Arts servant les intérêts des corporations d'artistes. Il y a là, à terme, l'étouffement de toute légitimité à l'action publique.
Mais qu'entendons-nous par " subversion "? Seraient-ce les restes de fantasmes du Grand soir?
Non, bien sûr.
Cela peut aussi s'appeler citoyenneté, ou politisation ou tout simplement... idéal. Après des décennies où le terrain de la politisation fut occupé par des groupes extrémistes, il peut être utile de rappeler qu'on peut être politisé sans vouloir pendre tous les bourgeois.
La Déclaration de Villeurbanne: on aime rappeler ici le texte de la Déclaration de Villeurbanne, rédigée en mai 1968 par les patrons du théâtre public d'alors. Il s'y trouve une assez parfaite définition de ce que nous voulons dire par " subversion ":
" Tout effort d'ordre culturel ne pourra plus que nous apparaître vain aussi longtemps qu'il ne se proposera pas expressément d'être une entreprise de politisation: c'est-à-dire d'inventer sans relâche, à l'intention du non-public, des occasions de se politiser, de se choisir librement, par-delà le sentiment d'impuissance et d'absurdité que ne cesse de susciter en lui un système social où les hommes ne sont pratiquement jamais en mesure d'inventer ensemble leur propre humanité. "
Cela concernait la culture et le " nonpublic " qui en était exclu.
Mais c'est valable pour la totalité des registres de l'éducation populaire. D'ailleurs, cette Déclaration continuait ainsi:
" ... et c'est pourquoi nous refusons délibérément toute conception de la culture qui ferait de celle-ci l'objet d'une simple transmission. Non point que nous tenions pour nul, ou contestable en soi, cet héritage sans lequel nous ne serions peut-être pas en mesure d'opérer sur nous-mêmes, aujourd'hui, cette contestation radicale: mais parce que nous ne pouvons plus ignorer que, pour la très grande majorité de nos contemporains, l'accès à cet héritage passe par une entreprise de resaisissement qui doit avant tout les mettre en mesure d'affronter et de pratiquer, de façon de plus en plus efficace, un monde qui, de toute façon, n'a pas la moindre chance de s'humaniser sans eux... "
Tant il est vrai qu'à la fin, la seule question est bien d'humaniser la société.
Jacques Bertin - Pour le magazine Politis
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UN PEUPLE, UNE CULTURE
Manifeste de Peuple et culture - 1945
A l'origine de la formation de notre équipe, il y a une révolte de la séparation de la culture et du peuple, de l'enseignement et de la vie. (...)
Ouvriers syndicalistes, dans le maquis, nous avons vécu une vie fraternelle avec des ingénieurs, des militaires, des intellectuels. Nous avons senti ce qui nous unissait et aussi ce qui nous séparait. (...)
Intellectuels et manuels, nous défendions les mêmes valeurs; nous n'avions pas le même langage. Nous n'avions pas une culture commune. (... )
Rien de ce qui existe - ni les cours publics, ni les cours post-scolaires- ne correspond à nos inspirations. (...)
Ingénieurs, notre résistance à la déportation nous a rapprochés des ouvriers, des employés. (...) Les grandes écoles ne nous ont pas préparés à notre fonction sociale.
Artistes, nous ne voulons pas d'un art réservé à quelques élus. Nous savons que la création est solitaire, mais nous voulons retrouver le dialogue avec le grand public. (...)
Les préoccupations habituelles reprendront leur place dans le grand drame collectif de notre époque. " Il n'est pas possible que, des gens qui ont besoin de parler et des gens qui ont besoin d'entendre, ne naisse pas un style. " Et ce n'est pas dans les conservatoires ou les écoles de Beaux-arts qu'il pourra naître. (... )
L'action nous a rendus exigeants à l'égard de la vie. Nous voulons garder le contact avec les hommes, avec les vrais problèmes de la condition humaine. (...)
Manifeste de Peuple et culture - 1945
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Textes repris du Hors Série du magazine Politis - Numéro 29 Février/mars 2000 consacré à l'Education Populaire.
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